La démocratie a régressé en RCA selon l’UE

La démocratie a régressé en RCA selon l’UE

C’est sur les ondes de Radio Ndeke Luka que l’ambassadeur chef de mission de l’Union européenne à Bangui a choisi de s’exprimer.  Dans une interview exclusive recueillie le 13 mai 2011, Monsieur Guy Samzun est revenue sur plusieurs situations évoquées ces derniers jours par la presse centrafricaine, les milieux gouvernementaux et diplomatiques : le rapport sévère publié après les élections, l’absence de l’ambassadeur à l’investiture du président Bozizé, les fonds versés par l’UE pour les militaires admis à la retraite etc… Des propos sans langue de bois

RNL : Vous êtes l’Ambassadeur de l’Union Européenne en République Centrafricaine, le monde entier a célébré il ya quelques jours la journée de l’Europe. Pourquoi cette journée na pas été célébrée par l’Union Européenne en République Centrafrique ?

Guy Samzun : C’est assez simple. Tout simplement parce que comme dans beaucoup d’autres pays, nous n’avons pas célébré la fête de l’Europe pour des raisons simplement de restrictions budgétaires. Il faut que les gens sachent qu’on avait pris accord avec le Président de la délégation spéciale de la ville de Bangui pour faire cette fête dans les jardins du cinquantenaire, tout était près de notre côté. Mais nous avons reçu des instructions de notre siège nous demandant de ne pas envisager de telles dépenses, vu les restrictions budgétaires qui nous frappent nous aussi.

RNL : La responsable de la diplomatie de l’Union Européenne Catherine Ashton avait publié au lendemain des scrutins de 2011, un rapport accablant sur les irrégularités qui ont entaché les élections groupées en République Centrafricaine. Quels sont les éléments qui vous ont permis de dresser un tel bilan ?

GS : D’abord ce n’est pas Lydie Ashton qui est effectivement la haute responsable pour les Affaires étrangères de l’Union Européenne qui a publié ce rapport. C’est un rapport qui a été publié par des experts indépendants qui sont venus ici à Bangui pendant un certain temps. Je dirai même un temps très certain par ce qu’ils sont restés plusieurs semaines sur le territoire et qui ont fait un rapport de façon tout à fait indépendante, bien que financé par l’Union Européenne en respectant par contre, une méthodologie définie par l’Europe et qui ont effectivement, par des travaux qu’ils ont pu mener, les gens qu’ils ont pu rencontrer, les gens qu’ils ont pu interviewer, les données qui ont été circulées, que ce soit par la Commission Electorale Indépendante (CEI), ou les autres organes en charge des élections, faire un certain nombre d’analyses et des recoupements qui ont malheureusement et effectivement mis en évidence un certain nombre de fraudes, de disfonctionnements, d’irrégularités qui ont entaché très sérieusement le processus.

RNL : Selon le rapport qui a été dressé, les irrégularités c’est beaucoup plus du côté du pouvoir, que du côté de l’opposition, par ce qu’il y a deux camps qui étaient partis pour ces élections y compris les indépendants.

GS : j’aurai tendance à dire sur la base du rapport qu’on a des responsabilités dans tous les camps. Dans le camp de la CEI certainement y a pas de doute, il y a des responsabilités au niveau des autorités du pays, des autorités publiques sortant, il y a aussi des problèmes liés à l’attitude des Forces de sécurité et de défense du pays, même si dans d’autres domaines, elles se sont avérées efficaces et compétentes. Je ne suis pas en mesure et je ne pense pas qu’il nous soit très intéressant de savoir qui est le responsable ultime. Ce qu’on constate, c’est que malheureusement on a un processus électoral largement entaché d’irrégularités qui ont fait qu’en réalité ce que l’Union Européenne attendait, c’était des élections libres transparentes, crédibles où les populations pouvaient exprimer librement leur choix. Tout cela n’a malheureusement pas été totalement respecté, loin s’en faut, on constate une certaine régression démocratique par rapport aux élections de 2005.

RNL : Guy Samsung, l’opinion publique nationale s’est interrogée et continue à s’interroger sur la grande absence de l’Union Européenne à la cérémonie de l’investiture du président de la République François Bozizé le 15 mars dernier. Qu’est-ce qui justifie votre absence à un évènement aussi important comme l’investiture ?

GS: D’abord si nous n’étions pas présents à l’investiture, ce n’est pas par rapport au président de la République en tant que tel, mais c’est la date choisie pour cette investiture qui nous pose problème. Puisque c’était également la date du coup d’Etat, et comme vous le savez dans les principes de l’Union Européenne, on n’a pas tendance, ni coutume de célébrer, de fêter les coups d’Etat. En général, on les sanctionne, on les regrette, on les critique, mais on ne les célèbre pas, d’où notre absence à cette investiture.

RNL : A un moment donné, ce coup d’Etat a été salué par le peuple centrafricain qui l’avait trouvé salutaire !

GS: Vous savez, il y a peut être une partie de la population qui l’a trouvé salutaire, d’autres probablement pas. Sur le principe même, l’Union Européenne ne peut défendre ni de près, ni de loin, un coup d’Etat, même s’il s’avère par la suite qu’il a été comme vous le dites, salutaire. Mais il ne faudrait pas laisser penser aux populations que la façon de ramener la démocratie passe par un coup d’Etat. Jamais l’Union Européenne ne défendra une telle position.

RNL : Monsieur l’Ambassadeur, lors d’une rencontre avec le Chef de l’Etat centrafricain François Bozizé, l’Union Européenne lui aurait suggéré un dialogue politique post électoral. Pourquoi cet énième dialogue politique et pour quel résultat en perspective ?

GS : Il faut clarifier très clairement les choses. Il n’a jamais été demandé par l’Union Européenne un dialogue post électoral. Dans le cadre de l’accord de Cotonou, les articles 8, 9 et subséquents prévoient de façon claire qu’il existe un dialogue entre l’Union Européenne et les pays bénéficiaires. Ce dialogue n’a jamais existé en République Centrafricaine de manière formelle, et l’article 8 prévoit que lorsque les évènements prennent une tournure un peu difficile, ce qui est le cas après le processus électoral, qu’on fasse un dialogue politique prévu par l’accord de Cotonou, un dialogue renforcé, structuré et formel. C’est dans ce sens que j’ai été demandé avec mon collègue ambassadeur de France au président de la République, de nous autoriser à entamer ce dialogue politique. Il n’est pas question de refaire un Dialogue Politique Inclusif, il n’est pas question d’un énième dialogue national. C’est un dialogue politique prévu par l’accord de Cotonou et nous demandons son application.

RNL : La table ronde des bailleurs de fonds sur la République Centrafricaine aura lieu à Bruxelles en Belgique au mois de juin prochain. Qu’est-ce que le pays peut attendre de cette rencontre. Déjà en 2007, des engagements fermes ont été pris par ces partenaires, mais les résultats étaient négatifs.

GS : Je vais donner une précision. D’abord, ce n’est  pas une table ronde organisée et gérée par l’Union Européenne. Cette table ronde est une initiative du gouvernement centrafricain et de la Commission pour la consolidation de la paix à New York, donc un organe des Nations Unies. L’Union Européenne, au même titre que les partenaires multilatéraux ou bilatéraux, est invitée à participer à cette table ronde. Nous y sommes présents en qualité d’invité. Comme vous le savez, les programmes de l’Union Européenne passent majoritairement par le Fonds européen de Développement. Puisque pour le moment nous sommes sur le programme 2008-2013, donc du côté de l’union Européenne, je dirai les engagements qui ont été pris lors de la précédente table ronde ont été tenus, on est entrain de les mettre en œuvre. Il y a encore devant nous 3 ans pour finaliser et ensuite nous entrerons dans un dialogue avec le gouvernement pour un nouveau programme pluriannuel si le Fonds européen continue d’être l’instrument privilégié de la coopération de l’Union Européenne.

RNL : Depuis quelques temps des mouvements d’humeur d’une partie des militaires admis à la retraite ont été entendus dans la capitale. Ces militaires accusent les autorités du pays d’avoir détourné les fonds versés par l’Union Européenne pour leur démobilisation. Est-ce que ces fonds ont été réellement versés au gouvernement centrafricain.

SG : Deux choses : Un, les fonds ont été versés au gouvernement centrafricain. Et deux, les fonds n’ont pas été détournés. Les retraités militaires qui ont bénéficié du programme financé par l’Union européenne ont touché des montants variables et en fonction de ce qui leur était dû. Ce qu’ils réclament aujourd’hui, ces militaires, c’est de toucher plus d’argent. Le programme de l’Union Européenne n’a pas cette vocation de donner plus d’argent que ce qui a été donné, mais je vous garantis que cet argent a été bel et bien reçu par ces militaires. Puisque chaque vague de mise à la retraite a été suivi dans l’audit que nous avons commandité, et tant que cet audit n’avait pas rendu des résultats favorables, on ne peut pas faire la seconde vague. Tous les gens qui ont bénéficié de ce fond ont été payés sur les comptes en banque. Cela a été vérifié et il n y a pas de détournements.

RNL : Monsieur l’ambassadeur pour terminer, comment l’union Européenne entend appuyer le pays dans son programme de développement pour les 5 prochaines années ?

GS : Comme je l’ai dit, on a d’ores et déjà un programme indicatif national qui couvre la période de 2008-2013, pour lequel la république Centrafricaine bénéficie grosso modo de 137 millions d’euros qu’on a déjà augmenté assez substantiellement par des aides spécifiques dues à la crise des prix alimentaires, à la crise financière mondiale. Donc on doit investir un montant de dans l’ordre de 160 millions d’euros programmé. On peut valablement penser que tout ce qui va être lancé dans quelques semaines à venir dans le domaine des pôles de développement trouvera une suite heureuse après 2013. Mais pas uniquement de la part de l’Union Européenne. J’espère aussi qu’avec les autorités, nous serons parvenus à démontrer aux autres bailleurs que cette approche intégrée au niveau des pôles de développement pourrait attirer plus de fonds.

RNL : Monsieur l’Ambassadeur je vous remercie.