Mémorandum : les révélations de Dieudonné Kombo Yaya

Mémorandum : les révélations de Dieudonné Kombo Yaya

Le président de l’Autorité Nationale des Elections (ANE), Dieudonné Kombo Yaya, brise le silence et s’explique sur les raisons de sa démission. Dans un mémorandum publié le 8 octobre 2015, un jour avant de quitter son fauteuil, M. Kombo Yaya fait savoir que  sa liberté et sa responsabilité sont non négociables.

Radio Ndeke Luka  vous propose l’intégralité de ce mémorandum.

« La mendicité est la plaie de la pauvreté », a dit Alphonse Karr.

Je voudrais d’abord remercier tous ceux des Pouvoirs publics et des nombreux partis politiques qui, guidés par les valeurs de rigueur, d’intégrité et de transparence qui me sont chères, ont choisi, en 2013, de présenter et soutenir ma candidature comme membre de l’Autorité Nationale des Élections.

Je voudrais ensuite m’excuser auprès d’eux si, en démissionnant de mes fonctions, j’ai brisé leurs espoirs de me voir conduire le processus électoral à son terme.

Ayant été impliqué pendant plus de 20 ans dans les processus électoraux de nombreux États membres de l’Union Africaine, mais également en Espagne en 1995 à l’invitation du gouvernement espagnol et en Colombie en 2007 à l’invitation de l’Organisation des États Américains, je pensais sincèrement, mettre ma modeste expérience au service de mon pays.

On peut me traiter d’incompétent. J’ai la conscience tranquille. J’ai toujours fait de mon mieux lorsqu’on me confie une responsabilité. Et je n’ai pas l’habitude d’étouffer ce qui dérange et de magnifier ce qui arrange. J’étais et je reste au service de la République Centrafricaine dans les limites des lois.

Je ne reviendrais pas sur la question de financement des opérations électorales. C’est un acte qui relève de la souveraineté nationale dans un contexte normal. Or, nous ne sommes pas dans ce cas de figure. Nous sortons d’une crise et sommes donc obligés de recourir aux financements extérieurs. Mais ceci ne doit pas nous mettre dans une situation de vassalité.

Je dirai simplement que le Programme d’Appui au Cycle Électoral en Centrafrique (PACEC), autrement appelé « Basket Fund » ressemble fort bien à une femme atteinte du cancer de sein. La maladie est diagnostiquée à ses débuts. Les médecins hésitent. Elle se développe et se métastase. Comme une ruée vers l’or, plusieurs professeurs agrégés de médecine du monde entier se précipitent au chevet de la malade. Trop tard. Le sein droit est suffisamment atteint. L’ablation est la seule solution. Heureusement, qu’elle pourra vivre avec un seul sein.

Je ne parlerai que des chronogrammes successifs que nous avons rédigés et qui n’ont pas été mis en œuvre pour diverses raisons.

Le 1er chronogramme

En mars 2014, nous avons rédigé un chronogramme qui se voulait objectif mais surtout réaliste pour servir de base aux diverses actions préélectorales. Il déclinait les principales phases de processus avec les activités à mener, les délais raisonnables de leur mise en œuvre ainsi que les contraintes qu’il fallait absolument lever afin d’atteindre les objectifs fixés.

Le 2ème chronogramme

L’infaisabilité du premier chronogramme nous a amenés à le remanier de sorte que le referendum constitutionnel soit organisé en mai 2015, le premier tour des élections présidentielle et législatives en juin et le second tour en juillet. Ici également, la faisabilité technique et la mise en œuvre dudit chronogramme étaient tributaires de la satisfaction à brève échéance, d’un certain nombre de préalables dont les principaux sont l’opérationnalisation de l’ANE y compris la mise en place de ses démembrements et de son administration au niveau central ainsi que la mise à disposition à temps des ressources pour le financement des opérations électorales.

Le 3ème chronogramme

La rédaction du 3ème chronogramme est confrontée à quatre problèmes d’ordre technique, budgétaire, diplomatique et politique.

1. Technique

Techniquement, les scrutins auraient pu être organisés avant la fin de l’année 2015 si tous les moyens avaient été mis à temps à la disposition de l’ANE. Organiser techniquement les trois scrutins en décembre 2015 relève du domaine de la fiction pour plusieurs raisons. Sauf miracle.

D’abord la liste électorale provisoire n’est pas encore prête. Certes, 1,800.000 personnes ont été enregistrées et environ 550.000 dossiers ont été scannés et traités au Centre de Traitement des Données (CTD). Lorsque le traitement sera fini, le dossier sera envoyé à un prestataire à l’étranger qui établit et envoie la liste provisoire. Celle-ci est affichée afin de permettre la correction des différentes erreurs ou omissions. Une fois cela fait, elle est renvoyée pour l’établissement de la liste définitive. Je rappelle que la liste est unique et doit être traitée globalement.

Il y aura les délais de contentieux en matière d’inscription sur les listes électorales (requête, audience du tribunal et appel) mais également les délais des contentieux des opérations électorales (requête, notification du Greffe, mémoires en défense et audience de la Cour Constitutionnelle de Transition).

Nous avons tenu compte de ces délais dont certains ont subi de coupes notamment en matière des opérations électorales pour produire un chronogramme technique plausible. Un chronogramme qui puisse nous permettre d’organiser le référendum le 13 décembre 2015 ; le premier tour des élections couplées le 27 décembre et le 2ème tour le 07 février 2016. Nous ne pouvions faire autrement. Tenter de réduire encore ces délais serait contre productif.

2. Budgétaire

Le chronogramme budgétaire est celui du Fonds Monétaire International teinté de chantage. Son leitmotiv : « Pas d’élections avant le 30 décembre 2015, pas d’aide budgétaire ». Refrain religieusement repris en chœur à chaque réunion du Comité Stratégique.

3. Diplomatique

A New-York et Addis-Abeba, mais aussi dans certaines capitales occidentales et africaines, le refrain est le même. Il faut aller aux élections avant le 30 décembre 2015. Que le Bon Dieu aide la République Centrafricaine.

4. Politique

La transition doit prendre fin le 31 décembre 2015. Les autorités politiques de la transition affirment haut et fort leur volonté de passer la main aux nouvelles autorités qui seront issues des urnes. Les menaces du FMI sont comme l’épée de Damoclès sur leurs têtes. Le pays court d’énormes risques d’asphyxie financière au-delà de décembre 2015.

Il faut aller aux élections en zappant les délais des contentieux. C’est l’injonction que sont venus me transmettre ce 08 octobre M. Léon Diberet, ministre conseiller à la présidence de la République chargé de l’Administration du Territoire, temporairement désigné pour suivre le processus électoral, et Madame Brigitte Izamo née Balepou, conseiller juridique du Chef de l’État. Ils ont frappé à la mauvaise porte.

Je rappelle que 35 articles de la Loi N°10.003 du 13 novembre 2013, portant Code électoral de la République Centrafricaine ont été amendés par la loi N°15.004 portant dérogation à certaines dispositions dudit Code dont les articles :

– 163 al.1 nouveau sur la convocation des électeurs pour le referendum qui passe de 60 à 30 jours ;

– article 68 al.2 nouveau sur le délai de localisation des bureaux de vote qui passe de 60 à 20 jours ;

– article 69 al. 1 nouveau sur la nomination des membres des bureaux de vote qui passe de 45 à 15 jours ;

– article163 al. 2 nouveau sur le début de la campagne électoral qui passe de 14 à 10 jours ;

– article 53 tiret 2 nouveau sur le dépôt des candidatures aux élections présidentielle et législatives qui passe de 60 à 25 jours

– article 118 al. 1 nouveau sur la convocation du corps électoral aux élections présidentielles qui passe de 60 à 45 jours.

Un proverbe anglais dit « Qu’on peut conduire un cheval à l’abreuvoir mais non le forcer à boire ». Nul ne peut me forcer à écarter les dispositions d’une Loi.

Si l’abandon des contentieux est non négociable comme me l’ont déclaré M. Léon Diberet et Madame Brigitte Izamo née Balepou, ma liberté et ma responsabilité sont également non négociables.

Libre, j’ai pris mes responsabilités en démissionnant de mes fonctions. Victor Hugo n’avait pas tort lorsqu’il disait que « Tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité ».

Fait à Bangui, le 08 Octobre 2015

Dieudonné KOMBO YAYA